Deux secondes, je pars en voyage
Chère Lily,
Comme la plupart des habitants de notre chère déchetterie Terre, je suppose que tu as entendu parler de cette planète soi-disant semblable à la nôtre, sur laquelle une forme de vie pourrait être possible. Les uns fantasment sur les créatures qu’ils pourraient y découvrir, d’autres, plus terre à terre, sur tout le pétrole et les gagne-pépettes qu’ils pourraient éventuellement en tirer.
Mon fantasme à moi serait qu’il n’y ait personne, parce que je compte bien m’y installer très prochainement. Dès que j’aurai trouvé comment on avale vingt années lumières en moins de deux heures, quoi (ouais, parce que manquerait plus que ça soit plus long que pour aller au pays des fées, hein, parce que j’aime voyager, mais à mon grand désarroi la fée n’a pas été équipée de la téléportation lors de sa fabrication).
Là-bas, la pluie n’existerait pas, ou alors elle aurait la décence de ne jamais tomber sur moi (à l’inverse, ici j’ai un nuage pile au-dessus de ma tête en permanence). La gravité serait légèrement plus forte qu’ici, juste de quoi faire tenir mes cheveux à l’emplacement qui a été prévu pour eux.
L’air sentirait l’herbe fraîche et les petites fleurs, et éventuellement le crottin de cheval, ça ne me dérange pas, mais surtout pas l’effluve de poubelle, l’émanation de cercueil à roulettes ou encore la déjection industrielle.
Comme je serais seule, les gens seraient forcément gentils puisque inexistants, seulement soumis à mon imagination à tendance utopique. Je pourrais jouer avec les n’animaux sans qu’ils aient peur de moi, car ils n’auraient pas été traumatisés auparavant par des créatures autoproclamées douées de conscience mais plus bestiales encore.
Bien sûr, il y aurait quand même la wifi, histoire de pouvoir encore t’envoyer des courriers même si tu décides de rester en enfer.
Je n’aurais même plus besoin de sucer, puisque rien ne me contrarierait. De toute façon il n’y aurait pas de marchands de sucettes.
Il y aurait la plage et la mer partout où je le souhaiterais. Et des arbres. Le ciel serait d’un beau jaune orangé, et il ne ferait nuit que quand j’aurais envie de dormir.
Bref, je pourrais continuer encore longtemps comme ça. Mais ce monde serait parfait. J’aurais mal aux joues à force de sourire bêtement et je serais simplement contente d’être là, parce que je serais là où j’aurais dû naître.
Mais bon, j’ai encore du travail ici et il est temps que je m’y mette…
Suny, enchaînée.